Il y a une tempête en ce moment chez les queers de la gauche anglophone parce qu'une autrice (que j'affectionne beaucoup) qui parle principalement de culture du harcèlement mais aussi d'addiction, de trauma et de bisexualité a écrit un article (que je ne trouve… pas très bon) dans lequel elle plaide pour que les queers apportent de meilleures réponses aux réac' qui se posent des questions sur les transitions des plus jeunes.
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Il faut savoir que le sujet est largement monopolisé par les milieux les plus conservateurs. Les réac' font monter la panique morale, ils sont relayés par les médias et parfois, même en France, ils sont invités au gouvernement pour promouvoir leur transphobie.
Leur but est de priver les personnes trans (surtout les femmes) du droit d'exister dans l'espace public en attaquant sur plusieurs fronts :
Interdire les démarches sociales de transition chez les jeunes adolescents (en obligeant les équipes éducatives des collèges à outer les élèves à leurs parents)
Interdire les démarches médicales de transition aux adultes de moins de 25 ans en avançant qu'avant cet âge, le cerveau n'aurait pas fini de se développer.
Empêcher les femmes trans d'utiliser des toilettes pour femmes, d'avoir accès aux ailes réservées aux femmes dans les hôpitaux publics, de prendre part aux compétitions féminines dans le sport, aux échecs, dans la pêche à la ligne ou encore dans les concours de beauté
Le problème c'est qu'à cause de ce contexte, dès que quelqu'un pose des questions, cette personne est immédiatement perçue comme étant de mauvaise foi, problématique et transphobe. En conséquence, tout le petit monde progressiste se ligue pour jeter l'opprobre sur elle et lui faire comprendre qu'il faut qu'elle se casse.
C'est exactement ce qui est en train d'arriver à l'autrice en question et ce en dépit de toutes les précautions qu'elle a prise dans son texte.
Voilà où toutes les années à répéter connement « Personne ne vous doit de la pédagogie » nous a mené : Les gens qui font de la pédagogie efficacement se comptent sur les doigts de la main et le reste se prend pour des professeurs de cours magistraux, grand détenteurs du savoir mais hypersensibles à la moindre contradiction. Et les gens qui ont des questions ou des inquiétudes se font envoyer chier, exclure, jeter à la porte ou raccrocher au nez.
Si tu ne le sais pas, j'ai travaillé trois ans en centre LGBT. C'était mon boulot d'accueillir les gens et de répondre à leurs questions. Toutes leurs questions. Et c'était probablement la partie préférée de mon boulot étant donné qu'au mieux j'aidais quelqu'un à y voir plus clair quand cette personne était perdue. Et au pire j'aidais un troll à réaliser qu'il ou elle n'était en fait pas si maline que ça.
Pour moi peu importait la question, j'étais payé pour faire comprendre aux gens l'intérêt d'arrêter d'être lesbophobe, homophobe, biphobe ou transphobe. Et en quatre ans j'ai eu tout le loisir de constater que ça n'était clairement pas une préoccupation partagée. Enfin… Elle l'était dans le discours. « On fait de la sensibilisation, c'est important, il faut éduquer les gens, etc. » Mais quand il fallait effectivement se poser face à quelqu'un qui n'avait pas les codes ou qui n'était pas dans l'écoute religieuse de la bonne parole, il n'y avait plus grand monde.
Les queers ne veulent pas faire face aux questions compliquées, iels veulent juste que leur confort prime sur le reste.
La norme que j’ai pu observer en trois ans c’est des personnes en charge de l'organisation d'expositions corriger sèchement leurs artistes sur des termes « problématiques. » C’est des gens qui deviennent rouges de colère face à quelqu'un qui les interrogent sur la pertinence de l'écriture inclusive sur une affiche pour les droits des personnes intersexes. C’est des gens qui se tassent sur leur chaise en entendant quelqu'un dire des trucs racistes pour ensuite réaffirmer bien fort leur anti-racisme une fois que cette personne avait quitté les lieux.
L'exemple le plus parlant de cette expérience professionnelle a eu lieu lors d'un salon inter-associatif quand un vieux monsieur est arrivé sur le stand que je tenais. Il avait l'air goguenard du boomer ravi d'avoir agacé quelqu'un et m'a annoncé tout fièrement que mon « collègue » du stand voisin (une association féministe bien connue) avait refusé de lui parler et l'avait chassé de son stand en le traitant de fasciste.
J'ai été surprise, car je savais que le collègue en question était salarié de son association, comme moi, et qu'il était donc payé, comme moi, pour faire de la pédagogie. J'ai demandé à mon bonhomme ce qu'il avait dit pour le mettre dans un état pareil et il m'a répondu « C'était par rapport à l'affiche là dont on parle dans les médias. Un homme enceint c'est quand même ridicule. »
Et donc c'était ça le seuil du fascisme pour mon fameux collègue : un type curieux qui voulait avoir un débat d'idée en posant une question choquante car pour lui tout ça était très théorique et très divertissant. La discussion était pourtant pliée très cordialement en cinq minutes : Je lui ai dit que ça n'avait rien de théorique et que des hommes, aujourd'hui, étaient en capacité d'accoucher, pas grâce à une opération chirurgicale, mais parce qu'il étaient nés femme, et que le genre n'était pas une question d'organe génitaux (il ne m'avait pas montré son sexe en se présentant pour que je le genre correctement), ni une question d'état civil (il ne m'avait pas montré sa carte d'identité non plus.)
Un peu désarçonné mais content d'avoir trouvé « adversaire à sa hauteur » il m'a simplement remercié de lui avoir apporté matière à réfléchir avant de continuer son tour des stands.
Mais ça n'est pas la seule situation où j'étais clairement la seule dans le coin prête à faire l'effort de traiter mon interlocuteurice comme un être humain et pas à l'envoyer bouler :
Je me suis plusieurs fois retrouvée face à des personnes qui avaient pris rendez-vous « pour avoir des informations » et en fait les informations recherchées c'était « où rencontrer des femmes trans pour coucher avec. » L'un d'entre eux étant deux fois plus large que moi, avec une tête de plus et des mains qui faisaient la taille de ma tête. J'ai un peu transpiré, mais j'ai quand même réussi à lui faire comprendre que ce n'était pas le lieu, que sa démarche n'était pas la bonne et tous finissaient par partir en me remerciant pour les informations. Alors que d'autres « militants » se seraient probablement liquéfiés sur place avant de partir dans des grandes tirades sur combien ce genre de situation sont inacceptables et la raison même pour laquelle il nous faut des espaces safes (qui ne le sont jamais vraiment.)
Un jour où je devais recevoir un candidat de stage, la vitrine de l'association a été recouverte de stickers de l'Action Française (une organisation royaliste). La personne qui devait m'assister pour l'entretient l'avait trouvée comme ça et avait passé la matinée à les décoller puis était partie déposer une main courante. À l'heure prévue, le potentiel stagiaire arrive et je m'excuse de l'absence de cette personne en lui expliquant la raison. Sa réponse m'a un peu étonnée : « Ah oui, c'est vraiment pas malin de leur part, c'est vrai que je suis pas d'accord avec toutes leurs positions. » Il s'avère qu'il en faisait partie ! Et après quelques échanges il m'est apparu évident que c'était un bail familial plutôt que de conviction. Donc on a parlé royalisme, anarchisme, communisme et il me semble lui avoir fait réaliser qu'il y a d'autres perspectives que celles qu'il a apprises par cœur. Pourtant, nul doute que si j'avais été accompagnée face à lui, l'entretient aurait été… sérieusement écourté.
En 2019, une podcasteuse a fait un court reportage sur les collages féminicides et donnait une large parole à Marguerite Stern qui venait de s'affirmer en tant que TERF mais aussi à d'autres colleuses qui s'en foutaient complètement des trans et comprenaient pas ce que ça avait à voir avec les collages qu'elles faisaient. Elle a ensuite subit un harcèlement assez soutenu et après deux ou trois jours, je suis allée lui expliquer de quelle manière je pensais qu'elle avait merdé avec son épisode. Elle m'a avoué qu'en trois jours de harcèlement et de DMs saturés, j'étais la première personne a articuler ce qui n'allait pas dans sa démarche et elle m'a proposé de faire un contre épisode d'explication pour débunker ce qui n'allait pas dans le précédent (malheureusement elle les a supprimés tous les deux depuis)
Plus d'une fois j'ai géré des parents inquiets au téléphone dont un enfant venait de faire un coming out trans et ils sortaient le bingo complet : J'ai raté quelque chose, c'est une phase, j'ai peur qu'iel subisse des violences, pourquoi iel peut pas être normal, c'est un deuil à faire etc. Ce sont des choses que presque tous les parents font, ce sont des choses qui sont violentes à entendre pour leur enfant qui a peur aussi et n'a besoin que de soutient, mais ce sont des choses que ces parents ont besoin d'exprimer et sur lesquelles ils ont besoin d'être rassurés. Là aussi on ne peut pas se contenter de lever les yeux au ciel et leur raccrocher au nez en leur disant d'arrêter d'être transphobe.
Enfin, et c'est la partie qui me rend le plus triste : Je ne compte pas les personnes en face de qui je me suis retrouvée qui commençaient toutes leurs phrases par « J'y connais rien, peut-être que je vais pas utiliser les bons mots, je suis désolée, je veux pas choquer, il faut me dire si ce que je dit pose problème ou si ma question est idiote. » et le fait qu'on en soit là est un immense échec collectif.
Même les gens qui sympathisent avec nos problématiques ont tellement peur de commettre le moindre impair qu'iels s'empêchent de réfléchir et on besoin de poser milles précautions pour oser demander une information de peur d'être expulsés à vie. Comment est-ce qu'on peut progresser en tant que mouvement politique si on fait peur à nos sympathisant⋅es et qu'on est incapable d'avoir la moindre discussion avec des gens qui n'y connaissent rien et vont forcément dire des trucs LGBTphobes.
Bien sûr qu'il n'est pas question d'aller organiser un débat avec l'Action Française et que tout le monde n'a pas le temps, la patience, les connaissances pour débattre avec une féministe radicale fan de Christine Delphy et lui faire réaliser les failles de son raisonnement. Mais je voudrais que les gens qui ne peuvent pas le faire se contentent d'admettre que ça n'est pas possible pour elleux, au lieu de projeter leur complexe d'infériorité et de trasher les personnes qui pourraient être convaincues si on les humanisait un peu.
Parce que si au lieu de trouver les liens pour convaincre on se contente de couper le cordon, on ne passe que pour des cons et on aura tout perdu.
Moi en attendant, je me sens plus en sécurité face à des gens potentiellement transphobes qui ne sont pas des harceleurs plutôt que face à des queers inclusifs déconstruits intersectionnels qui n’hésiteront pas un instant avant de ruiner ma vie à la première occasion qui se présente.
Si ce que j’écris te plaît, te fait réfléchir, te chamboule un peu ou t’aide à avancer dans la vie, j’ai créé un profil Ko-Fi où tu pourras me laisser un petit pourboire pour me montrer ton soutien. Merci !
MERCI, comme d'habitude tout est dit et très bien dit !!
Ça me fait tellement plaisir de voir ce sujet traité quelque part. J'ai tendance à penser qu'on ne fait pas de politique avec de la culpabilisation, et j'ai l'impression que c'est ce que font trop souvent nos milieux militants. Ça pose en creux je trouve la question de la société pour laquelle on se bat : est ce qu'on aspire vraiment à faire évoluer les mentalités pour construire une société dans laquelle ce soit ok et safe d'être trans, lesbienne, gay, bi.e, ou est ce que le but c'est de garder un mur hermétique entre 95% du monde, dangereux parce que nécessairement ignorant et donc violent, et nos "safe spaces" en vase clos dans lesquels on se flique en permanence mutuellement et on est toustes à devoir donner des gages pour ne pas risquer d'être cancel et relégué.e de l'autre côté ?
Évidemment qu'en des endroits spécifiques, la non-mixité est salvatrice. Et bien sûr que certaines questions a certains moments sont trop violentes pour pouvoir être calme et pédagogue en face, parce qu'elles nous trigger personnellement, qu'elles font résonner nos propres insécurités liées à nos identités spécifiques, etc. Mais en fait c'est pas le cas de toutes les questions. Parce qu'une meuf lesbienne cis peut être trigger par une question lesbophobe mais capable de faire de la pédagogie face à des conneries transphobes. Et qu'un mec trans blanc que ces mêmes conneries fragilisent peut avoir de l'espace à un autre moment pour répondre à des "blagues" racistes. J'ai l'impression que hurler à la transphobie sans être trans soi même, refuser d'adresser la parole a un vieux qui dit un truc raciste en étant blanc soi-même, c'est être agi.e avant tout par un réflexe de polissage, c'est être incité.e par la culpabilité qui régit nos espaces militants à prouver qu'on est certes dominant.e, mais "pas comme eux". Qu'on est blanc.he mais "meilleur.e" que ce papi raciste, valide mais tellement plus safe que cette meuf qui demande ce que ça veut dire "neuroA", cis mais "déconstruit.e". En tant que personne minorisée, on a besoin d'allié.es - mais on est surtout forcément aussi l'allié.e de quelqu'un d'autre, et ça nous donne je crois des ressources de patience et de force pour encaisser des bêtises et parler de nos identités au delà de nos cercles, quand on arrête de crier au fascisme à la moindre question "problématique". En vrai, est ce que si nous mêmes on avait pas fait cette rencontre, cette lecture, est ce qu'on serait pas encore problématique nous mêmes sur certains sujets ?
Merci de le poser en termes si limpides. Est-ce qu'on peut dire que c'est lié à la pureté militante ? C'est quelque chose qui m'a toujours terrifié•e, même en tant que personne queer neuroa, qui essaie d'être læ plus inclusifve possible, et ça me fait partir dans des crises d'angoisse terribles...