Tu viens te coucher ?
Cette histoire n'a pas été simple à écrire, elle n'est probablement pas simple à lire. Elle parle de consentement, d'emprise, de viol conjugal. Assurez-vous d'être dans les dispositions adéquates avant de le lire et ne vous inquiétez pas pour moi, je suis dans le temps de la guérison.
« Tu viens te coucher choue ? » Mon cœur saute un battement. Je répond : « Oui t'inquiète dans cinq minutes ! » et je commence à réfléchir. Ça fait une semaine depuis la dernière fois, habituellement ça veut dire qu'elle va essayer quelque chose. Si j'arrive à retarder suffisamment mon heure de coucher il y a une chance pour qu'elle soit déjà endormie, ou au moins trop fatiguée.
– Qu'est-ce que tu fais ? Tu viens ? – J'arrive ! Je termine un article. – Tu te lances toujours dans des trucs super longs. Allez, viens !
Ça s'annonce mal, elle a l'air d'y tenir, elle restera pas tranquille longtemps. Je lui lance un « Je me dépêche ! » en ayant l'air la plus convaincante possible. J'ai à peine cinq minutes avant de devoir aller dans la salle de bain. Si je prend "une douche rapide" avant de me brosser les dents je gagnerai un peu de temps mais je n'y crois déjà plus, elle est sûrement bien réveillée. Je prend un instant avant d'ouvrir la porte de la chambre pour mettre mon masque : Cet air gentil qui cache ma peur et ma répulsion.
Je n'ai plus de libido depuis 2 ans maintenant et j'ai vite… constaté que ça allait être un problème. Les premières fois que j'ai dit non, elle se détournai en déclarant sèchement « Bah bonne nuit alors » et se montrai un peu renfrognée le lendemain. La première dispute a éclaté au bout de deux semaines.
Est-ce que c'était sa faute ? C'est parce qu'elle est monstrueuse c'est ça ? Grosse et moche, elle le savait. Elle me dégoûtait sûrement, c'était qu'une question de temps de toute façon, ça elle le savait depuis le début. Elle s'était toujours demandé ce que je pouvais lui trouver, ben voilà, elle avait sa réponse : rien. J'arrivais plus à faire semblant à force et j'allais sûrement la quitter bientôt.
On avait fait l'amour ce soir là, pour la première fois sans que je la désire. J'avais contredit toutes ses peurs. T'es pas monstrueuse. Bien sûre que je te trouve jolie. Que tu sois grosse ne te rend pas moche. J'ai jamais fait semblant, c'est juste que… ben ces derniers temps j'ai moins envie. Mais bien sûr que je t'aime toujours, j'ai aucune envie de te quitter. Tu me rends heureuse. Puis le mensonge : « Déshabille-toi. »
C'est moi qui l'ai dit. Qui ait initié ça. Seule manière que j'avais de lui prouver que je l'aimais à ce moment là. Est-ce que ça a marché ? Elle avait eu un air radieux les jours qui ont suivi. Une vraie lune de miel alors que l'atmosphère des derniers jours était plutôt à couper au couteau.
Mon désir n'est pas revenu mais il a fallu continuer à lui prouver que je l'aimais. C'est là que j'ai commencé à calculer. Compter les jours depuis la dernière fois qu'elle avait initié quelque chose. Étaler mes refus au fil du temps, jamais plus de trois fois de suite. Surveiller son humeur, si elle avait eu une bonne nouvelle récemment je pouvais avoir un joker. Je me rendais même pas compte de ce qui m'arrivait intérieurement. Aujourd'hui j'ai un mot et je sais que je dissociais dès que je pensais à aller me coucher. C'est le seul moyen de faire ces négociations avec moi-même sans m'effondrer. Mais ça ne m'avance pas plus. Parfois ça me rattrape en pleine nuit, je me lève et je vais dans le salon pour sangloter sans risquer de la réveiller parce qu'elle ne comprenait pas. Elle avait commencé à changer de réactions après un an. La moitié du temps c'était sa faute, l'autre moitié c'était la mienne.
J'étais grossophobe et égoïste. Si je la détestais à ce point pourquoi je la foutais pas dehors ? Quelle lâche ! J'attendais juste qu'elle en puisse plus de mon mépris et qu'elle se casse pour sauter sur la première connasse venue. De toute façon j'étais polyamoureuse à la base non ? Elle me voyait bien mater toutes les pétasses que je croisais en soirée, je fantasmais sûrement sur elles la nuit quand je me réveillais pour aller me branler dans le salon en foutant ma tête dans un coussin pour qu'elle m'entende pas, qu'est-ce que je croyais ? Qu'elle était teubé ?
Il y avait pas d'échappatoire. Quand cette version me tombais dessus je savais qu'elle était à bout et m'adresserait pas la parole pendant plusieurs jours. Jusqu'à ce que je lui donne ce qu'elle attendais en fait. J'ai jamais osé refusé après ça et j'ai peur de me dire qu'elle l'avait compris. Que peut-être parfois elle préparait le terrain à l'avance.
Je pose mon PC sur la table et me dirige vers la salle de bain en retenant mes larmes, sans savoir ce que je dirais une fois allongée à côté d'elle. Sur l'écran, un article de Libération : « Il faut apprendre à chacun à demander un consentement explicite. »
Je me demande : Quelle valeur accorder à un « Oui » quand « Non » n'est même plus une option ?
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Merci et réfléchissez à des moyens plus efficaces pour parler de consentement.