Limite, accord et règle
Ayant désactivé mon compte Insta principal pour une durée indéterminée, j’ai envie d’archiver certains de mes posts notables ici. Si tu me suivais pas là-bas, peut-être tu vas les lire pour la première fois. Sinon, c’est probablement une chouette occasion de les redécouvrir. Bonne lecture !
Récemment sur le côté PolyA de TikTok, j’ai vu une vidéo qui résumait super bien la différence entre une limite personnelle, un accord et une règle.
Une limite, c’est quelque chose qu’on refuse de faire : Je n’irai pas voir de film d’horreur, je ne ferai pas cette pratique sexuelle, je ne vivrai pas avec quelqu’un, je ne discuterai pas de tel sujet, … Une limite, ça ne se discute pas, car il est question d’autonomie personnelle.
Un accord, c’est une collaboration avec quelqu’un : J’accepte de ne pas écrire à mes partenaires quand on est ensemble, j’accepte de te prévenir de l’endroit à je vais quand j’ai un rencard avec une nouvelle personne, … Pour un accord, il faut une discussion et une compréhension mutuelle. C’est quelque chose de descriptif qui indique ce que l’on fait pour quelqu’un.
Une règle, ça consiste à dire à quelqu’un ce qu’iel doit faire ou ne doit pas faire : « Tu ne dois pas me laisser seul⋅e, tu dois me prévenir quand tu rentres tard, tu ne dois pas être sur ton téléphone quand on est ensemble, … » Ce sont des demandes que l’on fait aux autres de manière plus ou moins prescriptive. Parfois une règle abouti sur un accord, mais il faut être prudent⋅es dans leurs usages, elles émanent souvent d’un besoin de contrôle sur l’environnement. Ce dernier est généralement causé par des insécurités sous-jacentes (elles peuvent être infondées, mais elles peuvent aussi être très justifiées) et il est beaucoup plus épanouissant de travailler à les résoudre qu’à essayer de contrôler des personnes.
Cette différence est importante parce que quand on ne la connait pas, on est susceptible de faire passer ou d’accepter des règles en tant qu’accords ou en tant que limites. Voire se leurrer en pensant que nos limites (qui concernent notre autonomie personnelle) sont des règles ou des accords (et qu’on peut donc les négocier.)
Personnellement, j’ajouterai que pour travailler à distinguer nos limites de nos insécurités et nos limites de ce qu’on est prêt⋅es à accepter dans un accord, on peut réfléchir en termes de besoin, de capacité et de responsabilité.
Par exemple, dans un cadre relationnel, on pourrait imaginer la situation où Andréa et Céline sont en couples. Ni l’une ni l’autre ne savent établir correctement la différence entre limite/accord/règle, car personne ne leur a appris, elles n’ont jamais eu l’occasion d’y réfléchir, donc elles se conforment aux normes en vigueur dans la société, tout au plus, elles sont dans des milieux un peu conscientisés qui parlent beaucoup de respecter les limites personnelles, mais sans jamais définir ce que c’est.
Elles viennent de commencer à avoir des relations non-exclusives et Céline a rapidement formulé comme limite qu’elle ne devait pas se retrouver seule quand Andréa voyait quelqu’un car ça la mettait vraiment très mal. Andréa n’a pas discuté, car voulant bien faire et respecter les limites de sa partenaire. En revanche, quand Céline voyait quelqu’un, Andréa y trouvait plutôt une occasion de profiter d’une soirée chill pour elle-même.
Les problèmes sont arrivés assez rapidement, puisque Andréa devait sans cesse consulter Céline pour prévoir ses rencards, quand ces derniers étaient annulés Céline allait quand même au sien et quand les rencards de Céline étaient annulés ça forçait Andréa à annuler les siens également. Donc Andréa était de plus en plus frustrée que son activité de dating était entièrement dépendante de sa partenaire. Ça a clashé le jour où Andréa a décidé de ne pas annuler son rencard pour passer la soirée avec Céline.
Ici, on voit que Céline a fait passer ses insécurités (« Être seule quand tu as un rencard me fait peur ») comme une règle (« Tu ne dois pas avoir de rencard avec quelqu’un d’autre si je n’ai pas autre chose à faire pour ne pas y penser ») mais en le formulant comme une limite (« Je ne dois pas me retrouver seule ») et qu’Andréa n’avait pas conscience de ses limites (« Je ne laisse personne avoir un droit de regard sur l’organisation de mon temps ») et s’est trahie elle-même en passant un accord (« Je n’irai pas à un rencard si tu es seule ») alors qu’elle pensait respecter la limite de Céline.
Formuler les choses en termes de besoin pour Andréa et Céline aurait été plus clair : Céline a besoin d’être rassurée quand Andréa a un rencard, Andréa a besoin de déterminer ses fréquentations et son emploi du temps en conservant son indépendance.
Sur cette base, elles peuvent réfléchir à leurs responsabilités : Il est de la responsabilité de Céline de travailler à résoudre ses insécurités pour être plus serine et avoir moins besoin de contrôle sur d’autres personnes. Il est de la responsabilité d’Andréa d’apporter du soutien à Céline en tant que partenaire intime. Mais il n’est pas de sa responsabilité de palier aux insécurités de Céline.
En termes de capacités, Andréa étant moins anxieuse, elle est en capacité de faire quelque chose pour rassurer Céline comme lui passer un appel avant/après ses rencards pour lui montrer qu’elle tient à elle. Et Céline est en capacité de chercher des solutions pour réduire ses insécurités.
En communiquant sur ces principes, elles trouvent quelles sont leurs vraies limites et comment trouver des accords qui leur permettent de s’épanouir, au sens où ils leur permettent de ne pas trahir mutuellement leurs besoins. Il faut tout de même avoir réalisé une certaine introspection, ce qu’on n’est pas forcément en capacité de faire à tous les moments de sa vie (à cause de la précarité, des traumas, de la violence médicale, de l’accès à l’information, etc.) mais c’est quand même un travail qui permet d’avoir des relations interpersonnelles beaucoup moins dysfonctionnelles de manière générale.