La distinction entre transphobie et enbyphobie n'a pas lieu d'être
Ayant désactivé mon compte Insta principal pour une durée indéterminée, j’ai envie d’archiver certains de mes posts notables ici. Si tu me suivais pas là-bas, peut-être tu vas les lire pour la première fois. Sinon, c’est probablement une chouette occasion de les redécouvrir. Bonne lecture !
Le cissexisme est un concept théorisé par Julia Serano qui postule que le patriarcat, pour se maintenir, a besoin d’imposer des normes sexuées sur les individus. Afin de passer pour naturel, il nous pousse à assigner un genre aux personnes en se basant sur un ensemble plus ou moins cohérent de caractéristiques physiques (dont il amplifie l’importance et nomme « sexe ») puis favorise les personnes qui respectent cet alignement et réprime fortement les personnes qui transgressent cette norme, car leur existence met en péril le processus de naturalisation.
La transphobie est une oppression spécifique aux personnes trans qui résulte du cissexisme de notre société actuelle. Il s’agit de toutes les discriminations subies par ces personnes qui paient le fait de ne pas garder leur sexe et leur genre « bien alignés. » L’enbyphobie quant à elle, serait une oppression spécifique aux personnes non-binaires que ces dernières subiraient, car leur genre ne s’inscrit pas dans la binarité de genre, elle aussi créée et maintenue par le patriarcat.
Je pense que cette manière de l’expliquer donne déjà quelques pistes pour voir les problématiques communes sur un plan théorique : Transphobie et Enbyphobie sont des discriminations qui résultent du fait d’aller contre les normes patriarcales de genre en remettant en cause l’alignement genre/sexe (il existe bien sûr d’autres façons de transgresser ces normes de genre)
Parmi les revendications ou exemples qui reviennent souvent autour de l’enbyphobie et du privilège binaire, il y a notamment le fait que le genre des personnes dites « binaires » serait plus reconnu et mieux pris au sérieux par la société alors que les personnes non-binaires seraient dans l’incapacité d’obtenir une telle reconnaissance. Cependant, il ne faut pas oublier qu’être visible quand on appartient à une catégorie de population aussi violemment discriminée est un danger.
Partant de là, comment peut-on savoir dans quelle mesure une personne trans qui donne l’impression de se conformer à un genre le fait parce qu’elle exprime tout ce qu’elle veut exprimer ou alors parce qu’il s’agit d’un moyen de survivre dont elle se satisfait plus ou moins ? Les personnes non-binaires qui, parfois, trouvent de la sécurité dans le fait de se définir de manière nébuleuse plutôt que d’affirmer leur transidentité, dans l’espoir que le cistème n’y regarde pas de trop près et les laisse tranquilles, ne sont probablement pas si différentes de ces personnes qui « savent depuis la naissance » et se répriment jusqu’à ce que ce soit insupportable ou que leur vie soit suffisamment stable pour se lancer.
La peur d’être mis⋅e à la porte de chez soi, de ne pas trouver de boulot ou de lieu de vie, de devoir faire une croix sur sa vie sentimentale ou la possibilité de fonder une famille, ce sont des choses partagées par toutes les personnes trans et, comme souvent, modulé par les questions d’appartenance de classe économique ou culturelle, ou d’assignation à une race.
Cette distinction entre « trans binaire privilégié⋅e » et « personne non-binaire qui subit de l’enbyphobie » n’a pas lieu d’être, car il n’existe pas une seule problématique qui affecte l’une et pas l’autre de ces catégories. Les transitions sont plus simples quand on est riche, blanc⋅hes et pas en situation de handicap. Elles sont plus compliquées quand on ne l’est pas et cela oblige la quasi-totalité d’entre nous à faire des choix, des concessions, à composer avec notre contexte socio-économique, notre santé et notre entourage.
Pour aller plus loin, Lily Alexandre analyse d’où vient l’appellation « Femme Trans Binaire » qui semble être employé systématiquement lors de l’évocation du « privilège binaire » qu’auraient certaines personnes trans :