Des goûts, des femmes
Après l'avoir embrassée une dernière fois elle referma la porte de son appartement, y colla son dos et se laissa mollement glisser vers le sol. Elle senti les larmes remplir ses paupières fermées. Elle essayait de maîtriser sa respiration mais cette dernière se faisait de plus en plus erratique. Elle fut soudain prise de tremblements et de sanglots incontrôlables. Plus jamais, s'était-elle pourtant juré à la fin de sa dernière relation amoureuse.
Celle qui venait de partir était sa première amante depuis qu'elle avait renoncé à l'hétérosexualité. Une femme fragile, comme elle. Peut-être plus, même. C'est pour ça qu'elle n'avait pas osé l'arrêter quand elle aurait du. Qu'elle n'avait pas osé l'arrêter alors qu'elle s'était promise à elle même de ne plus se contraindre à quoi que ce soi.
Ça avait commencé par un regard, son regard. Elle avait plongé ses yeux droit dans les pupilles de son amoureuse, qui avait répondu silencieusement en se mordant la lèvre. Elle l'avait alors guidée de sa main vers la chambre, allongée sur le lit. Puis elle s'était assise sur son bassin.
Ce n'était pas la sensation familière de ses partenaires d'avant. Logique, et ce fut son premier renoncement. À ce moment là, elle espérait encore. Elle avait ensuite pris son courage à deux mains et retiré son chemisier, couvrant timidement sa poitrine. C'est là qu'elle aurait du dire stop. Quand son amante avait doucement posé ses mains sur ses côtes et que le frisson qu'elle avait ressenti n'était pas un frisson de désir. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Elles étaient amoureuses, dix secondes plus tôt elle se sentait encore brûlante d'envie. Mais ces mains… Si différentes de celles auxquelles elle était habituée… Est-ce que les siennes laissaient la même impression ?
Pour ne pas avoir à se focaliser sur ses propres sensations elle avait décidé de se montrer plus active et de retirer le t-shirt de son amante pour embrasser son corps. La peau de celle-ci était douce mais… la texture lui avait fait un drôle d'effet, on aurait dit du silicone. En tout cas il se passait quelque chose d'anormal et de franchement désagréable. Elle était dans sa chambre, dans son lit, avec la femme qu'elle aimait et elle lui faisait l'amour, pourquoi n'était-elle pas en pleine extase ? Pourquoi chaque partie du corps de son amoureuse, un corps si similaire au sien, la repoussait à ce point ?
Même son odeur. Son odeur ! Son odeur qui la rassurait quand elle avait besoin d'être rassurée. Quand elle était dans ses bras, le nez enfoui dans les boucles qui recouvraient sa nuque. Son odeur était écœurante. Elle ne devait rien laisser transparaître. Elle ne pouvait pas laisser voir à son amante que tout son être rejetait ce qu'elles étaient en train de faire. Elle connaissait ses insécurités. Elle les comprenait. Elle les partageait. Elle savait que ça la détruirait.
Elle s'était sentie partir. C'était peut-être mieux comme ça. Son cerveau mettait assez facilement ses émotions dans une petite boite isolée du reste et elle se regardait alors agir de loin comme un automate imitant à la perfection ce qu'il convenait de faire.
Quand elle avait retiré la culotte de la personne qui était contre elle et approché la bouche de son sexe, elle avait noté, au contact rêche contre ses mains, que les poils étaient rasés plutôt qu'épilés. Quand sa langue avait finalement touché l'organe génital et qu'elle senti sur ses papilles le gout des fluides qu'il secrétait, son corps eu un mouvement de recul. Elle s'était dit qu'elle devait trouver un moyen d'abréger rapidement.
Peut-être l'autre avait senti quelque chose et avait doucement ramené son visage près du sien pour l'embrasser à pleine bouche. Elles étaient ensuite restées toutes les deux l'une contre l'autre pendant quelques minutes, leurs mains caressant mutuellement le corps de l'autre. Ça l'avait aidée à se réintégrer suffisamment pour se préoccuper de l'heure. Il fallait que sa compagne se rhabille, sans quoi elle allait rater son train.
Et maintenant elle était toute seule. En pleine crise d'angoisse contre la porte d'entrée. Subissant le contrecoup d'un rapport sexuel auquel elle s'était contrainte elle-même pour ne pas infliger sa propre homophobie à la femme qui savait si bien prendre soin d'elle. Elle savait qu'elle n'avait pas été dégoutée par son corps à elle, mais par son corps de femme. Un corps qui était, comme le sien, « un champ de bataille. »
Car il était là le nœud du problème. Elle ne pouvait même pas se regarder dans une glace sans détailler toutes les raisons qui auraient dû, selon elle, la rendre ignoble aux yeux du monde ou en tout cas, impropre à attiser le moindre désir chez quiconque.
Entre deux sanglots, elle prit conscience que pour aimer vraiment celle qui voulait partager sa vie, elle allait devoir commencer par apprendre à s'aimer elle-même.