J'ai acheté un marteau
C’est un texte exutoire que j’ai écrit l’été dernier. Ma vie a beaucoup changé depuis. Je suis allée casser des trucs en destroy room, j’ai beaucoup crié dans la forêt, j’ai fait de l’EMDR. Il y a des traumas qui ont bougé, que j’ai appris à gérer, d’autres qui reviennent encore m’exploser à la face au détour de stories Insta. Globalement, je guéris chaque jour un peu plus.
Et puis il y a le monde, à cause duquel les exutoires sont toujours d’actualité. Alors, on respire un bon coup, on pense à ce qu’on aurait envie de faire si on pouvait laisser s’exprimer nos plus basses envies comme dans le monde du film American Nightmare et puis on continue de faire de son mieux.
Si ce que j’écris te plaît, te fait réfléchir, te chamboule un peu ou t’aide à avancer dans la vie, j’ai créé un profil Ko-Fi où tu pourras me laisser un petit pourboire pour me montrer ton soutien. Merci !
J'ai acheté un marteau. J'ai acheté un marteau sur un marché aux puces. Un matin, je me suis réveillée et je suis allée sur un marché aux puces à une demi-heure de train de chez-moi et il y avait un stand avec des vieux outils. Dont un marteau. Que j'ai acheté. D'abord, je me suis dit qu'il serait très bien pour casser le carrelage de ma salle de bain que je vais refaire durant le mois. Il a un manche solide et une tête rectangulaire. J'ai été étonnée par son poids quand je l'ai pris en main. Je crois que c'est le marteau le plus lourd que j'ai tenu. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai pesé mon nouveau marteau et j'ai vu qu'il faisait 1621 grammes. En comparaison, mon ancien marteau fait même pas 300 grammes. J'ai presque envie de dire que c'est juste un maillet maintenant.
Quand il m'a vue tenir le marteau, son ancien propriétaire a regardé mon mari et a plaisanté. « Elle est dangereuse avec ce marteau, faites attention qu'elle vous tape pas dessus. » Ce à quoi on lui a répondu en rigolant qu'il y avait pas de soucis à se faire, il serait juste très bien pour casser le carrelage de ma salle de bain que je vais refaire durant le mois. Mais il a dû voir qu'un truc se passait. Parce que après lui avoir acheté ce marteau, je l'ai pas lâché. Je l'ai pas donné à mon mari pour qu'il le mette dans son sac à dos. Je l'ai pas mis dans mon sachet. Je l'ai tenu, juste en dessous de la tête et j'ai laissé pendre mon bras. Je sentais son poids dans ma main, la gravité tirer jusqu'à mon épaule.
Je sais que son ancien propriétaire a vu qu'un truc se passait parce qu'il est pas le seul à l' avoir remarqué. Deux stands plus loin, un gars m'a proposé une réduction sur ses céramiques. « – Hé, madame, si vous voulez vous faire une fury-room vous pouvez prendre mon stock, ce que vous en faites après ça me regarde pas. – Haha, c'est une bonne idée, mais je vais avoir de quoi faire, je refais ma salle de bain durant le mois et il sera très bien pour casser le carrelage. »
Plus loin encore, un autre. « – Haha, vous allez pas me taper dessus avec votre marteau ? – Non, pas vous, vous inquiétez pas. » Il a continué à rigoler. Mais il a quand même eu l'air de s'inquiéter, un peu, dans son regard.
Clairement, avec mon marteau dans la main, son poids qui fait doucement se balancer mon bras quand je marche, l'air peut être un peu absent que je peux avoir, il y a un truc qui se dégage. Une meuf comme moi, avec un aussi gros marteau dans la main, en pleine rue, au milieu de la foule, les gens ont pas l'habitude. Peut-être aussi que ce que je voudrais vraiment faire avec ce marteau n'est pas très bien caché dans mon regard. Les gens sentent pas l'odeur du sang s'ajouter à celle du fer de la masse. Ils entendent pas les os craquer sous l'impact ou les hurlements de douleur et de rage. Ils voient pas la chair s'écraser et s'ouvrir, ni la moelle se répandre. Les yeux s’écarquiller de terreur pendant que le corps s'effondre sous son propre poids maintenant que le genou est rompu. Enfin, rompu. En purée plutôt. Quand ne restent que les mains pour s'agripper au sol et se traîner. Les ongles qui raclent le bitume en manquant de se retourner à chaque traction, la pulpe des doigts qui râpe sur le sol et s'effrite peu à peu. Mes cris de rage qui continuent. Mes larmes qui se mêlent au rouge qui se répand dans les interstices de la rue en même temps que résonnent les hurlements de douleur.
Peut-être tout ça est pas très bien caché dans mon regard, non. Alors les gens ont besoin d'être rassurés et ils font des blagues à propos de fury-room ou me demandent dans un sourire si c'est pas sur eux que je vais taper. Ensuite moi je fais comme d'habitude, je réponds à leur besoin en jurant qu'il n'y a pas à s'inquiéter : j'ai acheté mon marteau sur le marché aux puces parce qu'il serait très bien pour casser le carrelage de ma salle de bain que je vais refaire durant le mois.
Si ce que j’écris te plaît, te fait réfléchir, te chamboule un peu ou t’aide à avancer dans la vie, j’ai créé un profil Ko-Fi où tu pourras me laisser un petit pourboire pour me montrer ton soutien. Merci !